Réformer Hadopi et les droits sur internet

En réfléchissant sur le problème des droits sur Internet, je me suis dit que beaucoup de gens critiquent les lois actuelles comme Hadopi, DADVSI et consorts; certains défendent nos droits comme Maitre Eolas. Certains autres sont experts pour trouver des failles.

Mais je n’ai pas trop vu de contre proposition cohérente. En en cherchant une, je suis tombé sur un blog complètement délirant : une sorte de philosophage super délayé sur l’internet et la source du droit, sur le fait qu’internet est un monde à part etc.. pour vous éviter la lecture de ce roman fleuve, je vous en résume les quelques idées neuves :

  • Internet serait un monde à part avec ses lois physiques différents : la copie et le mouvement (transfert)
  • Le droit actuel serait déficient parce que pour établir une preuve sur un document internet, il oublie qu’il n’y a pas vraiment d’original, et que c’est donc la date de transfert qui compte
  • De la même façon que sur terre nous ne nous conduisons pas comme des animaux en cédant à tous nos instincts, il faudrait trouver des lois qui répriment nos instincts internet de copie et de mouvement

Bon, une vingtaine de pages A4 pour dire ça… et on critique le droit … situation ubuesque. De plus le parti pris me semble stupide. Certes, partir du principe que l’internet est un « monde virtuel réel » avec ses règles est séduisant. Quand on voit le peu qu’il en ressort, on se doute que l’idée n’est pas si brillante. En effet il s’agit bien d’une représentation du même monde, dématérialisé : les personnes, les musiques, les vidéos, les docs.. tout ce qui s’y trouve, peut être matérialisé de façon réelle sur notre « plancher des vaches ». Il n’y a donc pas de différence fondamentale.

Cela n’enlève rien au fait qu’un « code de l’internet » reste à écrire, en tenant compte du fait que seules les choses qui nécessitent du travail méritent salaire, un salaire proportionnel à la durée du travail. En fait, je ne vois pas de différence entre la juste rétribution de l’artiste sur internet, et celle de l’ouvrier et du patron.

ÉTAT DES LIEUX

Le monde réel a transposé ses oppositions vers l’internet, et on retrouve donc deux courants extrémistes, et leur variante « au milieu »:

  • le libéralisme (la « droite » au sens des riches et non de celui de la défense de la morale) a donné les lois Hadopi, le flicage, et les taxes en tout genre pour nourrir des artistes super riches.
  • le communisme a donné la théorie de la culture gratuite et illimitée en libre circulation
  • le socialisme a comme d’habitude cherché à faire la moyenne et nous propose l’idée de licence globale / on paye quand même, mais c’est illimité.

En fait, le problème n’est pas limité au droit : il est notoire qu’un modèle économique sain n’a toujours pas été trouvé pour l’internet. Les deux seules sources de revenus sont la pub (donc lié au volume et un peu au portefeuille des lecteurs) et le premium. Dans un cas comme dans l’autre, les transposer aux contenus numériques ne résout rien.

C’est exactement le positionnement de Deezer. Il ne marche que parce qu’il n’y a rien de mieux, mais il va à l’encontre de deux principes fondamentaux du net:

  • Tout se copie et pour éviter cela, Deezer cherche des méthodes complexes pour interdire la copie (mais on peut toujours enregistrer ce qui sort de ses enceintes, leurs méthodes sont vaines). Comme pour la vidéo, les extrémistes du libéralisme envisagent de restreindre les possibilités techniques des appareils (ici, on ne vendrait plus que des enregistreurs et des cartes sons qui ne se mettent en route que s’ils détectent qu’on a les droits sur le son qu’on entend). Pour la 1e fois dans l’histoire, les extrémistes du « progrès » prônent le régrès pour conserver leurs avantages !
  • Tout s’échange et pour éviter encore cela, seuls les contenus venant des majors sont diffusés sur Deezer. Pas de contenus personnels, pas d’échanges, pas de petits artistes indépendants.

Tant qu’internet n’aura pas trouvé de modèle économique viable pour les sites non-marchands, il en sera de même pour la culture dématérialisée.

MA SOLUTION

Pour ma part, je n’ai pas de solution magique, mais il me semble que le problème est mal posé par les médias : il ne s’agit pas de savoir si on va payer ou pas, ou au forfait, pour consommer de la musique. Mais plutôt de savoir QUI va payer. Car même avec des contenus soi disant gratuit, comme sur Facebook ou Google, on paye indirectement. C’est via la pub que ces sites se financent. Or qui fait de la pub ? les marques ! Et qui achète ces marques ? nous. Donc l’internet et la culture numérique à la sauce « Facebook » ou « Deezer gratuit » vivent au crochet de la consommation, par une sorte de taxe « j’échange de l’audience contre de l’argent ». La pub en soit a toujours été injuste : on fait payer aux seuls consommateurs de produits de tous les jours, les choses qui sont financées par la pub : audiovisuel, numérique, internet.

Pourquoi quelqu’un qui achète une voiture, un rouleau de PQ, une chaussure Nike… devrait payer pour les gens qui usent et abusent d’Internet ? Alors que lui ne l’utilise peut être pas.

A l’inverse, dans le modèle premium pour la culture numérique : pourquoi devrions nous payer infiniment pour un contenu qui ne coute presque plus rien à produire ? Pourquoi quelques heures de travail en studio pour produire un titre, devraient produire une rente à vie, alors que les gens « normaux » doivent venir au travail tous les jours ? Les « artistes », de notre temps, ne sont plus autre choses que des rentiers : certes ils créent leur capital (des chansons, des films..) au lieu de les hériter de leurs parents. Mais ensuite ils en vivent pareillement. C’est tout autant injuste.

Y’a t-il une solution juste ? Pas sur Internet en tout cas. Internet ne connait pas la qualité. Faire transiter 1Go de données aléatoires coute le même pris qu’un giga de film. Internet ne permet pas de rétribuer les auteurs numériques de manière équitable.

Il y a quelques faits sur lesquels nous pouvons agir :

  • Comme la culture ne coute plus rien à diffuser et beaucoup moins à produire, son prix doit baisser, le nombre d’intermédiaires diminuer. Le secteur est hypertrophié, il faut laisser un écrémage se faire
  • Pour faciliter cet écrémage et éviter qu’il ne se fasse au détriment des petits artistes (c’est le modèle actuel : pour garder la rentabilité et nourrir tous les intermédiaires voraces, les majors sacrifient les « petits » artistes pas assez rentables), il faut supprimer toutes les aides françaises au cinéma et à la musique, et les réserver à des sites de « social funding amélioré » qui permettront au public et à l’état de sponsoriser des nouveaux artistes, de les produire et de les diffuser exclusivement sur internet. L’état financerait la recherche de talents, les internautes seraient « investisseurs » pour la production
  • Puisque la pub existe malheureusement, on peut tenter de la réguler en donnant un devoir d’honnêteté aux annonceurs : ce sera à eux de vérifier que les sites sur lesquels leurs pubs passent, reversent une partie de leurs revenus à la culture numérique, si tant est qu’ils en diffusent. Cela s’apparente à une sorte de « taxe méga upload » déguisée, en quelque sorte. Même si nous avons montré que le principe de la pub est mauvais, il ne faut pas laisser ces sites profiter indument de l’audience générée par d’autres ! Cette mesure est bien évidemment temporaire, en attendant que les sites de social funding du point précédent aient « pris le pouvoir » : lorsqu’un contenu sera téléchargeable directement et gratuitement sur le site officiel, les sites pirates mourront, faute de revenus de la pub !

En résumé, nous proposons :

  • Fin de toute aide existante à la culture : pass jeunes, subventions aux associations de musique et aux festivals, aux nuits blanches, aux films canal+ et ceux de Besson, etc
  • L’état crée (et sous traite au privé) des plateformes de « social funding »
  • L’état finance (avec tout l’argent économisé) la recherche des talents
  • Les internautes financent la production (ainsi chacun peut œuvrer démocratiquement pour la promotion de son type de musique préféré)
  • Les titres et films produits sont diffusés gratuitement sur les sites officiels
  • Tout site non officiel diffusant des contenus numériques se voit taxé sur ses revenus publicitaires, en proportion identique
  • Les internautes financeurs récupèrent le bénéfice de la pub. L’état veille à l’équilibre du système, de façon à ce que l’espérance de gain des financeurs soit en moyenne de 1.05. Il ajoute ou retranche à ses subventions à la plateforme, pour maintenir cet équilibre.
  • Les artistes sont rémunérés de manière +- logarithmique par rapport à l’audience générée (10x+ pour un artiste qui génère 100x+ de téléchargements)
  • Les majors soit faillitent, soit se lancent dans le social funding
  • Le chômage augmente car ce secteur hypertrophié diminue de taille. Mais l’argent économisé en intermédiaires inutiles supprimés, permet de leur payer des allocations jusqu’à leur recyclage.

Qu’en pensez-vous?

Première parution : mai 2011 – v2 révisée

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